John Airston

↗ 1839 ↘ 1840 (03) †

Il y a dans l’histoire de l’Éthiopie des voyageurs qui n’ont pas attiré l’attention des études éthiopiennes pour différentes raisons : séjour trop court ou sans retour ; absence de témoignage voir même de trace ; assistant resté dans l’ombre d’une célébrité, etc. Même si ces raisons sont défendables, est-il juste pour autant de les oublier ? Nous sommes d’avis que non.

L’Écossais John Airston (1812-1840) fait partie de ces oubliés : son séjour est court et sans retour. Sur sa personne, nous ne savons que peu de chose. Voici les quelques traces les plus accessibles.

La première lettre

Le 12 mai 1839, Airston est au Caire et correspond avec John Ponsonby, homme politique et diplomate, alors ambassadeur de Sa Majesté à Constantinople. Le sujet de sa lettre se rapportant à l’Egypte se termine par :

Such my Lord is a summary of what I have been able to learn with regard to the prospects of the Commercial Treaty in this Country[1].

Dans la même lettre et après avoir renseigné son correspondant sur quelques pays environnants, il vient à mentionner Aden[2]. Il dit vouloir s’y rendre avec le projet de poursuivre vers Mocha au milieu ou à la fin du mois de juillet afin d’être prêt à traverser la mer Rouge et accoster le continent africain juste après les pluies.

À l’image de bien d’autres explorateurs, le jeune homme âgé de 28 ans[3] dévoile un objectif très à la mode à cette époque : atteindre l’Afrique centrale depuis la mer Rouge.

If I succeed in traversing the Galla country, I am pretty sanguine of being able to penetrate some distance into Central Africa, and possibly may succeed in following the white Nile[4].

La deuxième lettre

Après avoir acheté des sacs de café pour Ponsonby que le capitaine Haines se chargera de faire transporter à Constantinople par Suez et Alexandrie, il est à Aden le 25 octobre 1839 et reste confiant sur l’itinéraire qu’il prévoit d’emprunter :

I land on the opposite coast, taking a new route into Abyssinia. I have 20 to 30 days journey to the frontier through a considerable portion of the Galla country.

En vain on essaiera de le suivre car rien ne transparaît de son débarquement sur le continent africain. Les deux seuls témoins oculaires de sa présence au seuil du Choa sont le voyageur français Charles-Xavier Rochet d’Héricourt et le missionnaire protestant Johann Ludwig Krapf. Faisons-leur donc confiance.

Rochet d’Héricourt

L’objectif du voyageur français Charles-Xavier Rochet d’Héricourt est encore plus ambitieux que celui d’Airston puisqu’il veut, lui, traverser l’Afrique d’est en ouest. Après déjà cinq mois de présence au Choa, il renonce à son plan initial et se croit investi du « devoir d’appeler l’attention de la science et de [son] pays sur une contrée aussi importante et aussi intéressante que le royaume de Choa ». Confiant, il fait ses adieux au missionnaire Johann Ludwig Krapf et se met en route vers la France.

Le 5 mars 1840, à Faré, il rencontre notre Airston qu’il qualifie étrangement « d’intéressant jeune homme ». Mais les présentations ne s’éternisent pas car John souffre d’une « affection cérébrale » qu’il a contractée depuis 14 jours sur les bords de l’Aouache[5]. Rochet retarde sont départ de deux jours et pratique des saignées qui soulagent temporairement l’infortuné. Pressé par sa caravane qui n’a cure du mourant, il fait prévenir Krapf et poursuit son chemin.

Le missionnaire Krapf

Dans son journal, à la date du 7 mars 1840, Krapf confirme s’être rendu auprès de l’Écossais[6]. Son coreligionnaire Karl Wilhelm Isenberg lui aurait dit qu’il était acquis à la « cause des missions ». Isenberg ayant quitté le Choa depuis cinq mois, aurait-il croisé Airston dans un port de la mer Rouge ? Quoi qu’il soit, du 8 au 10 mars, Krapf reste au chevet du jeune homme qui le prie de se rendre auprès du negus Sahlä Səlasse pour lui demander l’autorisation d’entrer au Choa. Krapf s’exécute en deux jours mais lorsqu’il s’apprête à emprunter le chemin du retour, la nouvelle de la mort de John Airston et son enterrement dans le village chrétien d’Aigebber à proximité du Faré musulman, lui parvient. Le britannique trépasse donc autour du 12 mars 1840.

L’anecdote des biens de l’Écossais mérite d’être relevée car elle semble avoir marqué Krapf. Le 18 mars, le negus Sahlä Səlasse demande à Krapf ce qu’il doit faire des affaires du défunt. Le missionnaire lui conseille d’écrire à sa famille et de lui faire la même demande. Il est outré de constater que le souverain n’en fait rien et s’attribue les biens. Bien loin de ressembler à un Capucin, Krapf s’émeut à l’idée que ses biens deviendraient la propriété de l’homme fort du Choa s’il venait à rendre l’âme sur son territoire. Ne serait-il pas un peu matérialiste notre homme d’église réformée ?

Mais où donc repose John Airston ?

Tout porte à croire que John Airston repose toujours en Éthiopie. Dans tous les cas, les sources consultées ne parlent pas d’un quelconque rapatriement de ses restes. Seuls quelques voyageurs postérieurs nourriront le souvenir du jeune défunt et nous livreront par la même occasion des indications précieuses. Tentons de les rassembler.

Harris

Le 16 juillet 1841, l’ambassade britannique conduite par William Cornwallis Harris arrive à Fárri, « la ville frontière du royaume d’Efát[7] ». Krapf a déjà pris ses fonctions de traducteur sans probablement se douter qu’il allait passer pas loin d’une année à cornaquer des messieurs incapables de communiquer avec leurs hôtes. Il est entendu que la tombe d’un compatriote n’est de loin pas la priorité de Harris quand il raconte que le 17 juillet, 600 porteurs musulmans emportent ses bagages et grimpent l’escarpement qui le sépare d’Ankober[8]. Pour celui qui a déjà été confronté à cette dénivellation, sous ces conditions climatologiques, l’image de cette foultitude grimpante doit lui parler.

Harris, lui, poursuit nonchalamment son récit par un paragraphe qui donne parfaitement le ton des trois tomes :

The wild rose, the fern, the lantana, and the honeysuckle, smiled around a succession of highly cultivated terraces, into which the entire range was broken by banks supporting the soil; and on every eminence stood a cluster of conically-thatched houses, environed by green hedges, and partially embowered amid dark trees. As the troop passed on, the peasant abandoned his occupation in the field to gaze at the novel procession; whilst merry groups of hooded women, decked in scarlet and crimson, attracted by the renewal of martial strains, left their avocations in the hut to welcome the king’s guests with a shrill ziroleet, which rang from every hamlet. The leather petticoat of the wandering shepherdess was no longer to be seen. Birds warbled among the leafy groves, and through-out the rich landscape reigned an air of peace and plenty, that could not fail to prove highly delightful after our recent weary pilgrimage across the hot desert.[9]

On veut bien croire que la traversée du pays Adal est plutôt traumatisante mais pas au point d’halluciner en croyant voir des bergères en jupon !

John a dû se retourner dans sa tombe si brusquement qu’Harris se ressaisit et se hâte de lui rendre hommage, pas sur sa tombe mais dans le texte donc :

Aigibbi, the first Christian village of Efát, was soon revealed on the summit of a height, where, within an enclosure of thorns, rest the remains of Mr. Airston, a traveller, who not long before had closed his eyes on the threshold of the kingdom, a victim to the pestilential sky of the lowlands.[10]

Arrivé à Alio Amba, il prend le temps de regarder autour de lui et nous livre quelques indices supplémentaires :

Loza forms the apex of the opposite side of the crescent, and perched on its wooded summit is a monastery forming the temporary abode of Hailoo Mulakoot, heir-apparent to the throne of Shoa. But by far the most interesting feature in the landscape is a conical hill, conspicuous from its isolated position, and rising amid dark groves of pine-like juniper. Hereon stands the stronghold of Góncho, the residence of Wulásma Mohammad, constructed over the state dungeon, in which, loaded with galling fetters, the uncles and younger brothers of a Christian king-victims to a barbarous statute-had found a living tomb since the present accession, a period of thirty years[11]!

Charles Johnston

Deux ans après les obsèques arrive Charles Johnston. Tout comme Airston, il est écossais, né la même année et poursuit le même objectif : explorer l’Afrique. Il végète longtemps entre Farree et Aliyu Amba ce qui l’amène inévitablement sur le chemin qui conduit à la tombe de son compatriote :

Some months after I had lived in Shoa I visited the Wallasmah, on purpose to see the state prisons of Guancho. I remained all night, and in the morning was taken to a ridge opposite, towards the south-west, where stood a small “Bait y’ Christian”, the church of St. Michael’s in Ahgobba. I felt pleased, when I reached the spot, that the object of my attendants was to point out the grave of my deceased countryman, which, with natural good feeling, they had supposed would be interesting to me. To give Mr. Airston Christian burial, the kind-hearted people of Farree (Mahomedans) must have carried his corpse more than six miles over the roughest road imaginable[12].

Soit dit en passant, puisqu’il s’y est rendu, on aurait apprécié que Johnston ait porté Guancho sur sa carte. Mais ce n’est pas le cas.

Patience !

Où se trouve exactement Gončo ? Peut-on situer précisément la position de Farree ? Des question auxquelles nous n’avons pas la réponse. Mais elles ne devraient pas tarder après que nous ayons mis un point final à l’étude de la mission d’Harris.

Biblethiophile, 26.11.2025


[1] Papers of John Viscount Ponsonby, Durham University Library, Archives and Special Collections, Airston, John, 1839 – GRE/E10/1-6, consultée le 21.09.2025.

[2] Le 19 janvier 1839, la British East India Company débarque les Royal Marines à Aden pour occuper le territoire et arrêter les attaques de pirates contre l’expédition britannique en Inde. Wikipedia, consultée le 21.09.2025

[3] ROCHET D’HERICOURT (Charles-Francois-Xavier), Voyage sur la côte orientale de la Mer Rouge, dans le pays d’Adel, et le Royaume de Choa, p. 320.

[4] Merci à Serge Dewel de m’avoir sorti de l’impasse où je me trouvais avec une transcription.

[5] ROCHET, Voyage […], op. cit., p. 319 ; il l’appelle Airthon.

[6] ISENBERG (Carl Wilhelm) & KRAPF (Johann Ludwig), Journals of the Rev. Messrs. Isenberg and Krapf, missionaries of the Church Missionary Society, detailing their proceedings in the Kingdom of Shoa and journeys in other parts of Abyssinia in the years 1839,1840,1841, and 1842 to which is prefixed a geographical memoir of Abyssinia and South-Eastern Africa, by James M’Queen, Esq. grounded on the Missionaries’ journals, and the expedition of the Pacha of Egypt up the Nile, p. 228.

[7] HARRIS (W[illiam] Cornwallis), The Highlands of Aethiopia, t1, p. 325.

[8] Ibid, p. 353.

[9] Ibid, p. 354. Dans l’EAe, t2, p. 1036, la recension de Richard Pankhurst est claire : « This work, […], is marred by its florid style ».

[10] Ibid, p. 354.

[11] Ibid, p. 357.

[12] JOHNSTON (Charles), Travels in Southern Abyssinia, through the Country of Adal to the Kingdom of Shoa, t. 1, p. 485.